LA FUMEE CA PIQUE LES YEUX, chapitre 3
J'entend les clés dans la porte. Elle est tout mouillée.
_ »Putain, qu'est-ce qui tombe! » Elle dit en enlevant sa capuche.
Elle est belle, ma maman. Moi je m'en fout qu'elle soit toute mouillée et que ses pupilles ne soient plus que deux petits points imperceptibles, complètement noyées sous le bleu de ses iris. Je me jette dans ses bras. Elle aussi elle s'en fout d'être toute mouillée. Peut être qu'elle ne s'en est même pas aperçut.
Elle s'en fout, ma maman. Elle se fout de tout, sauf de moi.
Moi aussi je m'en fout de tout, sauf d'elle, et pis aussi de mon porcinet en peluche.
Elle me fait un câlin et pis elle allume une cigarette. Elle crache quelques bouffées toutes blanches et pis elle écrase sa clope à peine consumée dans le cendrier.
Elle est livide, encore plus que d'habitude. Elle se lève et va vomir aux toilettes. Je lui demande si elle veut que j'appelle Natacha.
_ »Non merci mon coeur, ça va aller. »
Je l'entend qui vomit encore. Pis elle me dit:
_ »C'est pas l'heure de Disney Channel?... »
Je vais allumer la télé et je suce mon pouce sur le divan.
Elle fait couler de l'eau dans le lavabo. Puis elle sort, le visage encore tout humide, et elle me rejoint devant l'écran.
_ »C'est rien, mon p'tit bonhomme, juste ces stupides frites qui passaient pas. »
Elle est encore un peu tremblante, alors je la couvre avec le patchwork. Peu à peu, elle s'apaise et on s'endort l'un contre l'autre devant un dessin animé terrible.
Je rêve encore. Mon papa il est marin et un jour il nous emmène tous les deux sur son beau voilier blanc. C'est la tempête mais c'est pas grave, on voit bien que la mer c'est son amie à mon papa.
Quand je me réveille, elle a déjà remplie le salon d'une douce fumée bleutée. Elle me fait une tartine de nutella. Aujourd'hui c'est samedi, jour des dessins animés.
Elle revient avec deux verres de lait, son petit mégot blanc coincé entre ses doigts, et on mate donkey kong TV.
Je lui raconte mon rêve. je vois deux petites gouttes translucides perler aux bords de ses yeux.
_ »Cest un très joli rêve, chéri » murmure-t-elle, la voix un peu cassée, « Qui sait, peut être qu'un jour... » Elle laisse sa phrase en suspend et plante ses yeux dans le vide. Je vois bien qu'elle rêve. Des rêves encore plus beaux que les dessins animés du samedi matin.
On est tirés de nos res per le cri de la sonnette. Maman se lève, un peu titubante, et va ouvrir.
C'est Natacha. Elle a descendue les deux étages qui séparent nos appartements pieds nus, avec juste son grand T-shirt pour dormir. Elle vient paresser avec nous devant la télé. Elle penche ses boucles rousses sur moi et dépose un baiser sur mon front.
_ »Ca va, p'tit Go? » elle me demande.
Je l'invite à croquer dans ma tartine. Ensuite elle lape deux gorgées dans mon verre de lait et maman lui tend son mégot.
Elle parle drôlement, Natacha. C'est pour ça que je l'adore. Elle est comme un rayon de soleil, une gaieté perdue dans tout ce gris. Et même si elle m'empèche de regarder DK TV en entier, c'est pas très grave, puisqu'elle fait rire ma maman.
Elles parlent toutes les deux et elles se marrent. Il est drôlement beau, son rire, à ma maman. Je regarde juste les images de toutes les couleurs qui dansent sur l'écran et je rempli mes oreille de sa voix, de son rire.