la fumée ça pique les yeux, chapitre 20
La mer, c'est magique. Ma maman elle a oublié ses médicaments à la maison et pourtant elle rit toute la journée.
Avec Tonio, on est drôlement bronzés, mais ma maman et Natacha elle font rien que choper des coups de soleil. On s'en fout, on bouffe des mister freezze toute la journée parce qu'on a symmpathisés avec le gars du camion à glace, et le soir on va dans des cafés drôlement gais où tout le monde danse. Ils boivent de la bière et moi j'ai le droit de commander du coca parce que c'est pas grave si j'arrive pas à dormir, vu que j'ai jamais école le lendemain, et qu'il n'y a même pas la voisine du dessus pour nous rendre dingues avec son aspirateur à sept heure du matin.
Une seule fois ma maman elle se remet à pleurer. Mais c'est en regardant la lune, assise sur la plage, parce que c'est tellement beau...
Moi, j'ai même pas peur de l'eau. Je m'en fiche, de leurs stupides bouées, je courre dans les vagues avec Natacha et je l 'éclabousse. Elle me tire une langue toute rose de son mister freeze à la cerise et elle disparaît sous l'écume en se bouchant le nez.
Moi aussi je met la tête sous l'eau et je garde les yeux ouverts pour chercher des trésors. Après, mes yeux ils sont tout rouges et pis ils piquent un peu mais moi je m'en fout, j'ai même pas mal. Je trouve plein de coquillages merveilleux, une pierre bizarre, un sac en plastique que je croyais que c' était une méduse et que je m'suis battu avec pour la tuer avant de l' attraper, et même une poulie toute rouillée que maman elle me jure qu'elle doit s'être détachée du navire de Willy-le-borgne, et que sans doute le reste de l'épave doit pas être loin. Il lui semble bien qu'il pourrait avoir fait naufrage pas loin...
_ »Et le trésor, tu crois qu'il a coulé avec le bateau? » je lui demande.
Je vois ses yeux qui brillent
_ »Ca, personne ne le sait... » elle me répond. « Mais si ce vieux Willy a coulé, il aura pas voulut se séparer de son butin. Sur qu'il a voulut crever riche. »
Alors moi je cherche encore plus mais je ne trouve rien. Sacré Willy-le-borgne. Je suis persuadé qu'il est parvenu à être le seul rescapé du naufrage. Le seul avec son trésor, évidemment.
Au fond ça m'est égal. Moi j'ai la poulie de son voilier, celle qui servait à hisser haut leur drapeau à tête de mort pour qu'il claque dans le vent.
Le marchand de glace il m'appelle « pirate ».
Son nom à lui, c'est Kenny. Il a de grosses locks sur la tête.
Moi, j'adore les rastas. Ils sont gentils et ils voient pas le monde avec les mêmes yeux que les autres gens.
Et pis Kenny il me file toujours des mister freeze à l'oeil, et avec lui, on fait des feux de camps le soir sur la plage. IL joue du djumbé et on danse jusqu'à l'aube.
On voit qu'il vit dans un autre monde, un monde qu'a l'air tellement beau que t'es obligé de l'y suivre.
Il est tout le temps calme, il a toujours le temps. Il nous apprens à ecouter la mer et à vivre sans se presser.
C'est un sage, Kenny. Sur qu'il vivra jusqu'à deux milles ans en se foutant de tout. Et quand il soufflera ses deux milles bougies, il n'aura plus de dents du tout mais il jouera toujours du djumbé des nuits entières au coin d'un feu. Et son regard sera toujours autant noyé dans la brume.
Nous, on sait bien que c'est lui qu'a raison.
A SUIVRE ...