La fumée ça pique les yeux, chapitre 28
Ca fait trois jours qu’elle refuse de se lever.
Natacha et Tonio se relaient pour s’occuper de moi mais aussi surtout de maman.
Elle ne bouge pas, entortillée dans ses draps, brûlante de fièvre.
J’essaie de lui faire avaler un peu de yaourt à la vanille mais elle est prise de hauts-le-cœurs. Tonio la lève, elle est trop faible pour tenir debout. Il la traîne jusque dans la salle de bain et il lui maintien la tête pendant qu’elle vomit tout en l’engueulant en espagnol.
Après, il la porte jusqu’à son lit, à demi inconsciente, il la couche et on s’en va sans faire de bruit pour laisser maman se reposer.
C’est une période hyper moche. Ma maman reste toujours plongée dans l’obscurité à gémir de douleur. Je vois ses os qui sortent de sa poitrine, de ses côtes et de ses hanches.
Le docteur dit qu’il faut l’hospitaliser d’urgence. Elle pleure en répétant qu’elle veut pas y aller. Ils s’en foutent, elle est bien trop faible pour se débattre… Moi, Natacha et Tonio me retiennent pour pas que j’aille casser la gueule de ces sales ambulanciers de merde qui font rien que faire chialer ma maman. Ils me répètent que c’est pour son bien et que quand elle reviendra, elle sera guérie.
J’entends un pin-pon pin-pon qui se perd dans la nuit.
On reste un moment assis sur le tapis sans rien dire. Sans maman, c’est vachement vide la vie. Elle avait beau ne plus peser plus de quarante kilos et rester roulée en boule dans son lit toute la journée, maintenant qu’elle n’est plus là, on se sent tous vachement creux.
Tous les jours, après l’école, on va la voir à l’hôpital. Ça pue le médicament et la mort. Je déteste. Mais ça me fais vachement plaisir de voir l’état de ma maman s’améliorer. On lui amène des tas de magazines débiles mais pleins de photos très belles et de couleurs.
Elle nous demande de lui raconter la vie à la maison. Sans oublier un seul détail. Elle ne veut rien rater, exactement comme si elle était là.
Et pis elle m’écrit tous les jours. Ses lettres, tellement elles sont jolies, on dirait des poèmes. Je les déchiffre et les re-déchiffres tous les soirs, jusqu’à m’endormir. C’est comme si elle me racontait une histoire.
Un jour, sans prévenir personne, elle juge qu’elle est assez guérie alors elle se tire de l’hôpital et elle se pointe à l’appart. Tonio a ramené sa console et tous les deux on est en pleine course de voiture très serrée. Elle entre dans le salon, elle nous regarde, et pis elle dit juste :
_ »Après, c’est à moi de jouer. »
Nous, on lâche nos manettes et on saute dans ses bras. Elle nous explique qu’elle se sent beaucoup mieux, que les docteurs n’y connaissent Rien, et qu’on lui manquait trop.
Je vais dans la cage d’escalier et je crie : »Natacha ! Maman est rentrée ! »
Elle dévale les escaliers, avec juste un débardeur et le caleçon de son chéri. Elle aussi saute au cou de maman et la couvre de bisous.
_ »Ils t’ont laissé partir ? » elle lui demande
_ »Pas vraiment… » Elle répond, ma maman. Elle nous explique à grand renfort de gestes et de bruitages comment elle a détournée l’attention du gardien pendant la promenade et qu’elle s’est planquée dans un buisson en attendant la tombée de la nuit. « Ya des connasses de fourmis qu’essayaient de m’croquer ! »elle nous raconte. Ensuite, elle a escaladé la grille et elle a déchiré son T-shirt en sautant. « Je me suis dis : Tu t’en bats les couilles. Et je suis partie en courant comme une tarée. C’était comique. » Elle nous dit encore.
Natacha est morte de rire, et Tonio la regarde en fronçant les sourcils, mi-fâché, mi-amusé.
Moi, je m’en fout, je la serre très fort dans mes bras. Elle sent encore un peu l’hôpital mais je suis drôlement content qu’elle soit revenue, ma maman. Plus rien d’autre n’a d’importance.
A SUIVRE ...